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Orval

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Dans un coin du Luxembourg belge, au sud des vastes forêts de l'Ardenne, s'élève une antique Abbaye cistercienne...

C'est l'Abbaye d'Orval, sise en territoire belge, à quelques pas de la frontière française. 

L'an 1070, disent les Annales de Trèves, des Bénédictins de la Calabre en Italie, lassés de souffrir parmi les luttes intestines qui ensanglantaient leur pays, chassés de leur couvent, maltraités par une soldatesque sans frein, résolurent de chercher une retraite au loin.

L'archevêque de Trêves leur aurait indiqué le chemin des Ardennes, aux limites de son immense diocèse ; ils y rencontrèrent Arnould II, comte de Chiny, qui leur permit de s'établir sur ses domaines.

Tout près d'Orval, confinèrent tour à tour l'ancien Comté de Luxembourg, le Marquisat d'Arlon, les Duchés de Lorraine et de Bar, la Principauté de Sedan, le Duché de Bouillon et le Royaume de France, sans oublier l'Allemagne toute proche. Et ces voisins souvent rivaux, ne craignirent pas de semer autour de l'Abbaye l'épouvante et le deuil, quand ils n'y portèrent pas le fer et le feu.

 

Une tradition fraîche comme une légende et ininterrompue à travers les siècles se rapporte à l'époque de la fondation et vient confirmer l'étymologie topographique d'Orval. La Comtesse Mathilde, sour de la Bienheureuse Ida qui donna le jour à Godefroy de Bouillon, futur roi de Jérusalem, se rendit un jour au nouveau Monastère, et l'on raconte que, s'étant assise auprès d'une source limpide pour s'y reposer un peu, elle plongea la main dans l'eau et y laissa tomber son anneau nuptial. Désolée, elle adressa une fervente prière à Notre-Dame : aussitôt, la bague reparut à la surface de l'eau, dans la bouche d'une truite : et toute joyeuse, la comtesse de s'écrier "Vraiment, c'est ici un val d'or..."

Les Bénédictins reprirent en 1108 le chemin de l'Italie et furent remplacés en 1110 par des Chanoines réguliers venus de Trêves ; ceux-ci, après vingt ans passés à Orval, disparurent à leur tour. On était en 1130 à cette époque, Saint Bernard remplissait déjà l'Eglise du bruit de ses miracles et de sa sainteté. En 1132, l'évêque de Verdun, Aibéron, oncle du Comte de Chiny, le rencontrant au Concile de Reims, lui fit part des désirs de son pieux neveu, désolé de voir abandonnée sa fondation d'Orval.

 

Un peu dépourvu de sujets, car il venait de faire sept fondations successives, l'Abbé de Clairvaux a recours à l'aînée de ses maisons filles : Trois-Fontaines (fondée en 1118, au diocèse de Châlons), et bientôt une colonie de moines blancs est désignée pour Orval.

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L'abbaye (II)

La communauté ne tarda pas à entrer dans une ère de grande prospérité. Malgré les désastres qu'elle eut à subir au cours des guerres qui désolèrent le Luxembourg au XVIème et au XVIIème siècles, elle était arrivée vers le milieu du XVIIIème siècle, à l'époque la plus florissante de son histoire au point de vue temporel. Les moines d'Orval voulurent alors se construire un beau Monastère, qui s'écartait complètement non seulement du plan traditionnel des Monastères de l'Ordre, mais aussi de l'esprit cistercien tout de simplicité et de pauvreté.

Un célèbre architecte conçut et commença à édifier une Abbaye vraiment grandiose, quand survint la Révolution. En 1793, les soixante moines qui occupaient Orval durent s'enfuir devant les troupes du Général Loyson. Orval fut détruit par les hordes révolutionnaires. Les boulets de l'artillerie et l'incendie déchiquetèrent les cloîtres et les deux sanctuaires de Notre-Dame et de Saint-Bernard quant aux objets précieux : meubles, vitraux, manuscrits, livres, joyaux, les pillards se chargèrent de les "déménager ".

 

Les ruines de l'abbaye furent laissées à elles mêmes durant près d'un siècle et demi, la communauté ayant été abritée dans d'autres prieurés.

En 1927, le R. P. Abbé de la Grande Trappe avait reçu toutes les autorisations nécessaires pour prendre possession d'Orval et y faire refleurir la vie monastique. Ayant cédé tous ses droits sur Orval à la Communauté de Sept Fons, Dom Jean-Baptiste Chautard, abbé de Sept Fons, fit revenir une bonne partie de ses religieux de son annexe du Brésil (N.-D. de Maristella) et ceux-ci entreprirent de relever l'abbaye.

Les bâtiments de la nouvelle Abbaye s'élèvent sur les fondations mêmes du XVIIIème siècle, qui sont encore dans un remarquable état de conservation. Conçues en style roman, ces constructions forment un ensemble d'une belle et grande harmonie.

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La brasserie du monastère... 

Dès le XIème siècle, l'abbaye tire ses ressources d'ardoisières et de forges exploitées à partir de 1529. A la Révolution Française, l'abbaye est détruite et il faudra attendre le 26 Mars 1931 pour que les cisterciens trappistes décident de relancer l'activité productrice d'Orval, en érigeant une brasserie. Les revenus de cette dernière étaient destinés à l'entretien et à la reconstruction de l'abbaye ; premier brassin début 1932. L'architecte Vaes a cherché des modèles historiques pour sa construction et s'inspire de la brasserie de l'abbaye de Villers la Ville.

Honoré Van Zandt, qui officiait comme portier à Orval était un ancien brasseur du pays d'Alost ; il apporta à Vaes beaucoup de bonnes idées. L'architecte Vaes dessine le verre calice d'Orval en respectant les règles du "nombre d'or", et s'attèle également à la conception de la bouteille que nous connaissons toujours actuellement. Il dessine également les étiquettes, sous bocks, plaques émaillées, avec un talent artistique tel que ces modèles sont toujours employés actuellement, avec le succès qu'on leur connaît. Dans les années 1930, la forme du verre d'Orval est largement copiée par de nombreuses brasseries belges.

L'Orval, dès le départ, se caractérise par un mélange de méthode brassicole anglaise et allemande.

Son premier maître brasseur était un Bavarois du nom de Martin Pappenheimer (1883-1942), qui introduit le fort houblonnage de la bière d'Orval. Celui ci fut assisté notamment par John Van Huele, un brasseur belge des environs d'Ostende, auquel on doit très probablement l'introduction du houblonnage à froid à Orval (versement du houblon en cône dans les tanks de garde froids). Le houblonnage à froid donne une amertume particulière et la levure contient une race de culture de Brettanomyces anglais (famille de levures de type particulier ayant une odeur caractéristique, tendant vers l'aigre et le sûr, présente dans la gueuze et dans de nombreux vins).

Dès l'été 1932, on manque de place pour faire fermenter la bière et l'abbaye loue les caves de l'hôtel de ville d'Arlon à cet effet.

Orval se constitue dès le début en société anonyme et établit son siège à la rue Joseph II, à Bruxelles, avant de s'installer à l'avenue Marnix. En 1950 le siège sera définitivement implanté à l'abbaye.

Cette même année, les moines trappistes modernisent la brasserie et l'équipent, notamment, d'une cuve de fermentation. La chaudière à feu nu est installée en 1952, et transformée en 1979 par un système de chauffage à vapeur. la cave de garde est renouvelée en 1957 et la bouteillerie en 1983. La recette originelle n'a guère changé, seuls les évolutions des méthodes de brassage ont pu faire évoluer la bière et son goût. Les moines restent vigilants au maintien d'une haute qualité de brassage.

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La brasserie (2/2)
 
Eau, orge maltée, sucre candi, houblon et levure sont à la base de la fabrication de cette fameuse bière. Le brassage commence à 5 heures du matin et se termine vers 14 heures.

Une fois réduit en farine l'orge est mélangé à de l'eau à 62 degrés environ puis la température du mélange est augmentée d'une dizaine de degrés, et la pâte qui a infusé 20 minutes dans la cuve d'empâtage est filtrée.

Le moût est ensuite porté à ébullition.

On ajoute, au moût bouillant, houblon et sucre candi, puis on abaisse progressivement la température et le moût est alors mis en cuves de fermentation.

La première phase de fermentation est en cuve ouverte pour 5 jours, on y refroidit le moût à 14°, on ajoute la levure et on laisse fermenter.

Une fois que la phase d'atténuation du sucre est suffisamment évoluée, on refroidit le moût à 12° puis, après cette première fermentation en cuve ouverte, le moût est pompé en cuve de garde. Réensemencée de levure, la bière reste 3 semaines dans les tanks de garde. C'est là qu'elle y acquiert sa spécificité houblonnée, puisqu'on insère dans les tanks de garde des grands sacs remplis de cônes de houblon pour y macérer et infuser la bière de l'arôme des houblons : c'est la méthode du houblonnage à froid (ou houblonnage cru).

Juste avant la mise en bouteille est ajoutée un peu de levure fraîche et de sucre candi liquide afin de procéder à la refermentation en bouteille durant 5 semaines environ dans des salles de maturation, afin d'y acquérir sa finesse et son caractère final. La bière pourra alors être vendue, et il est recommandé de consommer celle ci dans les 5 années suivant sa mise en bouteille. Toutefois, il est parfaitement possible de conserver celle ci pendant plus de 5 ans. L'optimum gustatif peut être considéré comme atteint au bout de 2 à 3 ans.

La politique de vente pratiquée par l'abbaye d'Orval est basée sur un réseau de distributeurs exclusifs qui développent chacun leur propre zone d'activités. La production atteignait 45,000 Hl environ en 1999 et environ 72,000 Hl en 2018. Ce quota n'entrave nullement l'exportation de l'Orval qui se répartissent approximativement à raison de 90 à 95% vers le Bénélux (dont environ 85% pour la Belgique), et moins de 5% vers la France ainsi que vers le reste du monde (Japon, USA, reste de l'Europe, Canada etc...)

Le goût de la bière d'Orval, unique en son genre, mérite un apprentissage, presqu'une éducation. Son nez est très complexe, on y détecte des tons de fruits acides et amers (pomme, rhubarbe ?), des tons sûrs (les levures Brettanomyces jouent leur rôle). En bouche, l'arôme est mêlé de tons de levure acre et de houblons aromatiques. La saveur est simplement extra-ordinaire, son amertume sèche et intense, son corps ample et velouté révèle une légère acidité salée/sèche.

C'est une bière qui divise les avis, mais c'est une très grande bière trappiste, atypique et unique en son genre. Un vrai "classique", à déguster à température de cave.

© Cyril Pagniez
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